Promulguée le 18 juin 2014, la loi n° 2014-626, dite “loi Pinel”, relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, a marqué un tournant majeur dans le régime des baux commerciaux en France. Portée par la ministre Sylvia Pinel, cette réforme visait à rééquilibrer les rapports entre bailleurs et preneur, dans un contexte juridique souvent jugé défavorable aux preneurs.
Dix ans après son entrée en vigueur, il convient d’en rappeler les contours et d’en dresser le bilan.
Les objectifs de la loi Pinel
Les trois principaux objectifs visés par la loi sont :
- La maîtrise de la hausse des loyers
- L’équilibre des relations bailleur/preneur
- La possibilité offerte aux entrepreneurs modestes d’implanter de nouveaux commerces
Dans cette logique, la loi a introduit des leviers que nous allons détailler ci-après
I.Encadrer la hausse des loyers
1. Via de nouveaux indices
Avant la loi Pinel, l’indice de référence utilisé pour la révision des loyers était l’Indice du Coût de la Construction (ICC), jugé trop instable et éloigné de la réalité commerciale. La réforme a laissé place à deux nouveaux indices (déjà existants mais peu utilisés) :
- Indice des Loyers Commerciaux (ILC) pour les activités commerciales et artisanales,
- Indice des Loyers des Activités Tertiaires (ILAT) pour les activités tertiaires exercées dans des bureaux, entrepôts et enfin les activités industrielles.
Bien que ce changement ait permis une meilleure maîtrise des loyers, l’ILC a révélé ses limites en période d’inflation. La suppression de la composante liée au chiffre d’affaires du commerce de détail a permis de stabiliser son calcul.
L’usage de l’ILC ou de l’ILAT est désormais obligatoire pour les révisions triennales et les renouvellements de bail. Cependant, le recours à l’ICC reste autorisé pour l’indexation conventionnelle, créant une forme de concurrence entre les trois indices.
2. Par l’instauration d’un plafonnement
La loi Pinel a instauré un mécanisme de plafonnement de la hausse des loyers lors des révisions triennales et des renouvellements. En cas de déplafonnement justifié (ex. : transformation du local), la hausse est lissée, dans la limite de 10 % par an jusqu’à atteindre la nouvelle valeur locative.
A noter que ce système de plafonnement ne s’applique pas à tous les baux. En effet sont exclus les baux des terrains nus, les locaux monovalents, locaux à usage de bureaux, les baux dont la durée a excédé 12 ans par l’effet de la tacite prolongation.
Malgré les critiques de certains bailleurs y voyant une atteinte au droit de propriété, le Conseil constitutionnel a validé ce dispositif en estimant que cette mesure est proportionnée et sert l’intérêt général. Il en évite des hausses de loyer brutales qui pourraient nuire à la viabilité des entreprises artisanales et commerciales.
II. Rééquilibrer les rapports bailleur/preneur
1. Via l’obligation de faire réaliser un état des lieux
Avant la loi Pinel, l’état des lieux n’était pas obligatoire. Le preneur était présumé avoir reçu des locaux en bon état d’entretien et de réparation locative. La loi impose désormais la réalisation d’un état des lieux à chaque événement dit important tel que la réalisation de travaux importants, la cession de droit de bail ou de fonds de commerce, lors du renouvellement du bail ou de sa résiliation. Cette obligation a pour but de prévenir les conflits lors de la fin du bail. L’état des lieux doit être établi de façon conjointe et consensuelle entre le bailleur et le preneur, ou confié à un tiers désigné d’un commun accord.
2. Par la simplification du congé
La loi Pinel a simplifié la procédure pour donner congé : il est désormais possible d’utiliser une lettre recommandée avec accusé de réception, alors qu’un acte d’huissier était auparavant obligatoire. A noter que la simplification du congé est uniquement au profit du preneur.
3. En encadrant les charges et les travaux
L’un des objectifs de la loi Pinel est de mettre fin à la pratique du bail « triple net », qui permettait aux bailleurs de faire peser l’ensemble des charges et travaux sur les preneurs.
Avant cette réforme, seuls les travaux exigés par une autorité administrative incombaient automatiquement au bailleur. Toutefois, dans les baux commerciaux, deux exceptions permettaient d’y déroger :
- Lorsque le coût des travaux dépassait la valeur vénale du bien ;
- Si une clause contractuelle, claire, précise et expresse, transférait explicitement les charges, impôts ou travaux au preneur.
En l’absence de réglementation stricte, la répartition des charges dépendait uniquement de l’accord des parties. Certains preneurs se voyaient ainsi contraints d’assumer des dépenses importantes, telles que les gros travaux ou les honoraires de gestion.
Avec la loi Pinel, ce cadre a été renforcé :
- Toute clause imposant les gros travaux au preneur est désormais réputée non écrite.
- Les honoraires de gestion ne peuvent plus être facturés au preneur.
- Un inventaire détaillé des charges doit être établi. Ce document peut être intégré directement dans le corps du bail (la loi n’impose pas de le présenter en annexe). Il doit distinguer de manière claire les charges incombant au preneur (eau, électricité, entretien, etc.) de celles restant à la charge du bailleur.
III. Faciliter l’implantation de nouveaux commerces
La loi Pinel illustre la volonté de favoriser le développement et la pérennité des petites et moyennes entreprises à travers plusieurs mesures phares :
- L’allongement de la durée maximale des baux de courte durée, portée de 2 à 3 ans, afin de renforcer la stabilité contractuelle des preneurs.
- Par l’instauration d’un droit de préemption au profit du preneur en cas de vente du local objet du bail. Ce droit de préférence ne s’applique toutefois qu’aux ventes volontaires. En effet, la vente, au sens juridique, suppose un transfert de propriété moyennant le paiement d’un prix. Dès lors, les opérations telles que les apports en société, les donations ou les ventes judiciaires échappent à ce droit, puisqu’elles ne relèvent pas de la définition stricte de la vente.
- La limitation de la garantie solidaire du vendeur (en cas de cession du droit au bail ou du fonds de commerce) à une durée de 3 ans. Auparavant, cette garantie pouvait s’étendre sur toute la durée restante du bail, représentant une charge lourde pour le cédant.
Quel bilan après 10 ans ?
Dix ans après, le bilan de la loi Pinel est contrasté. Si elle a indéniablement renforcé la protection des locataires et introduit davantage d’équité dans les rapports contractuels, elle n’a pas entièrement atteint ses objectifs. La réforme a instauré un cadre plus clair, mais parfois perçu comme trop complexe ou inégalement appliqué, donnant lieu à des interprétations divergentes. Il serait réducteur de considérer systématiquement le bailleur comme la partie forte et le locataire comme vulnérable. Dans la pratique, les rapports de force varient fortement selon la localisation, la conjoncture économique et le type d’activité.